Cà sent l'amour
Mais
c'est une salle
d'interrogatoire
du Service de
Renseignement
de l'Armée
Des murs gris
sales
et nus
Différents anneaux
sont fixés
dans ces murs
à différentes hauteurs
Une petite fenêtre
assez haute
éclaire
mal
la pièce
Sur le sol
cimenté
est éparpillé
un maigre mobilier
composé
d'un brancard
d'une table
et de deux tabourets
Un jeune officier
est assis
Je lis une bande dessinée
Ma casquette
renversée
est posée sur la table
Mes gants de cuir
fauve
sont à l'intérieur
de la coiffure
Sur mon battle-dress
léopard
largement ouvert
un galon doré
brille
Je suis
un sous-lieutenant
de l'Armée
Sur le sol grisâtre
quelques flaques
d'eau
jettent
quelques faibles lueurs
Il fait chaud
Il fait sombre
presque intime
D'ailleurs
l'atmosphère surprend
car on y sent
les odeurs
d'une alcove
d'amour
La porte s'ouvre
Un soldat pousse
avec brutalité
un type d'un certain âge
dans la pièce
Un civil
un indigène
habillé sobrement
mais à l'occidentale
Le soldat est rieur
Cheveux blonds
frisés
yeux bleus
Il fait son service militaire
avec humour
sans zèle
mais sans contestation
Il faut que celà se passe
-Mon lieutenant
voilà un salaud
qu'on vient de piquer
dans le Nouache
au cours de l'opération
de ce matin
Monsieur prétend
y être en promenade
et à mon oreille
Eh Roro
ton pote Dédé
pense
qu'on tient le chef
du département
D'après les photos
il en a bien la gueule
Tiens
regarde
Il me présente une photo
Je la regarde longuement
-Ok Nanard
je m'en occupe
Ferme la porte derrière toi
D'accord
ce dialogue
n'est pas
très protocolaire
Mais nous
les obligés du Service
par solidarité juvénile
et contestataire
au grand dam
de la hiérarchie
militaire
nous avons décidé
à défaut de nos fonctions
d'oublier
nos titres et grades
nos matricules
nos noms
nos prénoms
mêmes
pour ne nous donner
que des diminutifs
***
Le civil
est toujours debout
De toute manière
il ne peut pas s'asseoir
faute de siège à proximité
Il n'ose pas
aller chercher le seul
qui est inoccupé
La gravité de sa situation
ne l'enhardit pas
Un peu encombré
de sa personne
ses yeux vont
jusqu'à maintenant
de l'un à l'autre militaire
comme s'il assiste
à un match de tennis
inoffensif
Tout en sachant
que sa tête
peut être la balle
de ce jeu
Cependant
son regard
demeure serein
et détaille même
avec bienveillance
le bureaucrate
Il pense
-Je le croise souvent
en ville
Cet officier
en face de moi
est jeune
vingt ou vingt-cinq ans
tout au plus
Pourtant son grade
justifie plus
Non
Il n'a pas le visage
dur
Ses yeux reflètent
l'innocence
de son âge
Au fait
il doit avoir
le même âge
que ma fille
vingt et un ans
Je préfère
tomber sur lui
plutôt que
sur un européen d'ici
Avec un métropolitain
la passion et la haine n'existent pas
Il suffit
de ne pas le provoquer inutilement
Je scrute longuement
l'homme
pour essayer
de le juger
Il ne ressemble pas
aux indigènes
des campagnes
Il habite en ville
près de la caserne
Je le vois souvent
se balader
avec sa fille
Elle est belle
d'ailleurs
Certainement
il fait partie
des cadres
formés par nous
Gast
comment vaincre
son regard
plein de bonté
de résignation
acceptante
Il me rappelle
mon père
avec qui
je ne peux
avoir de rapports
amicaux
d'homme à homme
quoi
A chaque fois
un déclic me barre
la voie de l'émancipation
Je ne sais
que subir son autorité Pourquoi faut-il
qu'à chaque fois
que j'ai un type
de cet âge
en face de moi
quelquechose
se bloque en moi
et me fait
redevenir un gamin
qui subit
plus qu'il ne donne
Il faut que je fasse
cependant
mon boulot
Tiens
encore cette crainte
instinctive
des chefs
Je n'ai que des pères
partout
On me reconnaît
une intelligence
un dynamisme
une autorité même
Je suis sorti
de l'Ecole d'Officiers
avec la mention
Fait un excellent officier
s'il est guidé
dans ses premiers contacts
avec la troupe
J'ai vu l'appréciation
Mais moi
dans le fond
de moi-même
je ne sais
pas comment
devenir un adulte
un homme
tels que je les envie
sûrs d'eux
sans erreur de jugement
plaisant aux femmes
capables de discuter
n'importe où
dans les bordels
ou dans les salons
du Mess des Officiers
Moi
je suis seul
et en face
de celui-ci
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